Dans le tumulte moyen-oriental actuel, Israël est un océan de sérénité, de démocratie et de relative prospérité. Il faut juste éviter la rubrique territoires palestiniens dans les journaux, qui égrène l’habituel cortège de tragédies liées à l’occupation : évictions, colonies sauvages, humiliations répétées aux barrages de l’armée, arrestations arbitraires, couvre-feux, tirs à balles réelles. Schizophrénie de la vie israélienne : une partie du pays relève d’un boboland progressiste, bio, high-tech et yoga ; une autre soutient un gouvernement attaché à poursuivre l’annexion de la Cisjordanie. Il arrive que les deux Israël cohabitent dans la même tête.
A bon droit, le quatrième gouvernement de Benyamin Nétanyahou pointe un environnement régional dévasté. Le souffle de la guerre syro-syrienne se fait sentir à la frontière nord-est du pays. Le Liban et la Jordanie, deux autres voisins, sont aussi déstabilisés par ce conflit. Au sud, le djihadisme rode dans le Sinaï égyptien et pourrait bien montrer son mufle dans la bande de Gaza. Si la Cisjordanie votait, il n’est pas impossible que la victoire revienne au Hamas, le mouvement islamiste palestinien.
Des grands Etats s’effondrent, à Bagdad et à Damas ; des frontières bougent. Deux puissances locales, l’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran, s’affrontent, ravivant, à des fins purement géopolitiques, une vieille querelle religieuse, celle qui, dans l’islam, oppose les sunnites aux chiites. A cette toile de fond aux allures de champ de bataille généralisé, il faut ajouter la perspective d’un Iran au savoir-faire nucléaire avancé. Conclusion de l’équipe Nétanyahou, mélange de droite nationaliste, d’ultra-droite annexionniste et de partis religieux ultra-orthodoxes : ce n’est pas le moment de changer quoi que ce soit.
Le Hamas à la recherche d’une trêve
« Quand vous avez une région en voie de désintégration, les bouchers de l’Etat islamique en action, le Hezbollah [libanais], le Hamas et Jabhat al-Nosra [un dérivé d’Al-Qaida] qui frappent à vos portes, la dernière chose à faire est de céder le moindre territoire », dit Naftali Bennett, ministre de l’éducation et chef du parti Le Foyer juif, qui veut annexer 60 % de la Cisjordanie.
En voix off, pourtant, on trouverait aujourd’hui nombre d’ex-généraux, membres des services ou anciens diplomates d’expérience pour dire le contraire. Il y a une situation régionale à exploiter – un resserrement possible des liens avec le monde arabe, qui pourrait faciliter une reprise de la négociation israélo-palestinienne. Plus aucune menace conventionnelle sérieuse ne pèse sur le pays. Disloquées, réduites à l’état de milices, les grandes armées arabes, celles de Syrie et d’Irak, sont occupées ailleurs. Le Caire n’a jamais remis en cause le traité de paix égypto-israélien, et l’armée du maréchal-président Abdel Fattah Al-Sissi coopère avec Tsahal pour chasser Al-Qaida du Sinaï. Pas plus le Hezbollah, avec ses 25 000 hommes suréquipés, que l’Etat islamique, avec ses dizaines de milliers de combattants fanatisés, ne représentent une menace existentielle pour Israël – qui plus est, ils s’emploient à s’entre-tuer.
A Gaza, le Hamas cherche une trêve de long terme avec Israël. La question palestinienne n’est pas le premier souci du monde arabe. L’ennemi, c’est l’Iran, accusé de vouloir dominer la région. Pour refaire l’unité arabe face à Téhéran, l’Arabie saoudite a convaincu l’Egypte de renouer avec le Hamas – afin de couper les islamistes palestiniens de l’Iran. Sous l’égide du roi Salman, la nouvelle équipe au pouvoir à Riyad cultive discrètement Israël. Pour la première fois en public, le 4 juin à Washington, un général saoudien à la retraite, Anwar Eshki, a dialogué avec un officiel israélien, Dore Gold, un proche de « Bibi », aujourd’hui directeur général du ministère des affaires étrangères à Jérusalem. Du jamais vu.
Front commun face à l’Iran
Les ennemis de mes ennemis sont mes amis : la dynamique locale amène Israël et les pays du Golfe à faire front commun face à la République islamique. Un ancien diplomate israélien de haute volée juge que « ce serait le moment de répondre enfin positivement au plan de paix saoudien » de 2002, le moment de reprendre une « approche régionale du conflit israélo-palestinien ». Riyad proposait une normalisation des relations arabes avec Israël en échange de la création d’un Etat palestinien dans les « frontières » de 1967. La référence à ces frontières est une convenance diplomatique : il y aurait d’autres aménagements territoriaux.
Nétanyahou n’en veut pas. Il a sacralisé la formule du dialogue bilatéral avec les Palestiniens, parce qu’il sait qu’elle est devenue stérile. Elle bute, notamment mais pas seulement, sur la poursuite des implantations en Cisjordanie. Comme les Etats arabes, Nétanyahou marginalise la question palestinienne. Il dénonce le « danger existentiel » pour Israël que représenterait le programme nucléaire iranien – opinion qui n’est pas partagée par les militaires israéliens. Comme les Etats arabes, il stigmatise la perspective d’un accord international sur le nucléaire iranien, et son entourage dit pis que pendre d’un président américain qui trahirait ses « engagements » dans la région. Vilipender Barack Obama est le sport en vogue dans la droite israélienne. Non sans une part d’ingratitude, puisque la coopération militaire entre les deux pays n’a jamais été aussi serrée et qu’Israël, en cas d’accord iranien, obtiendra encore plus des Etats-Unis.
Mais « Bibi » a déjà trouvé une autre « menace existentielle » : la campagne « Boycottage, désinvestissement et sanctions », qui vise à boycotter les produits israéliens fabriqués en Cisjordanie. C’est plus important, bien sûr, que de travailler à une coexistence digne et durable avec les Palestiniens.